L'ANNÉE PROCHAINE ON RENTRE AU PÉROU
Mon père est mort. Je trie ses affaires. Dans une caisse, je trouve un exemplaire d’un des principaux journaux péruviens, avec ce titre : « Adelaida Méndez est-elle une terroriste ? ». Sur la photo qui illustre l’article, on me voit assis sur les genoux de ma tante Adelaida, avec ma soeur. J’ai un an et je suis à quelques centimètres du mot « terroriste ». Qu’est-ce que je fais là ? Ma tante a été arrêtée le 31 janvier 1991 à Lima, au Pérou, accusée à tort d’être membre du Sentier Lumineux, une organisation terroriste maoïste. De ses cinq ans et demi d’emprisonnement, je n’ai que des bribes de souvenirs : les appels à la prison, les lettres et les cassettes audio qu’on lui envoyait, la tension à la maison, l’angoisse de mon père, ses absences, sa colère et son désespoir. Je ressens le besoin de m’approprier cette histoire familiale, d’investiguer sur cette période de violence qui a eu tant d’impact sur nos vies et celle de milliers d’autres.
A travers l’histoire de ma tante, je veux parler de violence, d’injustice, de solitude. Aborder les questions de la culpabilité et du jugement. De la peur au ventre. Du vide qui se fait autour de nous dans l’adversité, des amis qui ne répondent plus, des tensions qui naissent, des rancœurs qui envahissent les relations. De ce qu’on dit et de ce qu’on tait. De ce qu’on peut dire et de ce qu’on doit taire. De ce qu’on doit dire. De ce qu’on voudrait crier. Du silence. D’une famille qui souffre encore.