LES NOUVELLES HALLUCINATIONS DE LUCAS CRANACH L'ANCIEN
Lors de notre première tournée à Londres en 1988, nous sommes tombés en arrêt, à la National Gallery, devant une petite princesse peinte par Lucas Cranach l’Ancien, qui a fait de nombreux portraits de cour. Le tableau montre quelqu’un d’ambigu, à l’âge incertain, une jeune femme déjà vieille, et pas vraiment sortie de l’enfance. La façon dont elle regarde, la manière dont le peintre l’a saisie et chargée, laisse voir un ange autant qu’une criminelle, avec un décalage du sujet à sa représentation, comme si cette personne n’était pas vraiment là, comme si elle n’était pas concernée par le tableau dont elle constitue le sujet central. Cela créait une théâtralité de l’étrange dans laquelle nous nous sommes engouffrés. Le trouble venait sans doute aussi de la tension entre le rendu très précis et minutieux du tableau et une figure au regard intrigant, brouillé de sous entendus. On ne sait absolument pas ce qu’elle pense. Cela a ouvert en nous tout un intérêt pour la peinture maniériste et les motifs de la Renaissance.
Nous avons voulu approfondir cet espace de trouble, inventer des prolongements ou des transpositions scéniques de l’univers de Cranach, fantasmer la Renaissance, imaginer ce que le personnage avait fait avant et après l’immobilisation sur la toile…
Créé en janvier 1990 au Theater De Synagoge à Tilburg (Pays-Bas) sous le titre De ultieme gevoelens van Lucas Cranach de Oude avec quatre interprètes, le spectacle s’adjoint d’une cinquième interprète dès 1991. Joué plus de 150 fois à travers l’Europe, il est emblématique du travail sur le mouvement et l’image entamé par la Compagnie dès ses débuts.