Le Pélican
Cette adaptation confronte une famille dysfonctionnelle à ses démons : une mère et ses deux enfants au teint clair, un gendre à la peau noire, une femme de ménage aux cheveux frisés. Et un père. Mort.
A peine ce dernier enterré, les membres de la famille s’affrontent. La mère prétend se saigner pour les siens tel le pélican qui nourrit ses petits de son sang, alors qu’elle les soumet à des privations bien cruelles pour garder l’argent nécessaire à ses plaisirs. Faim, froid, haine et trahison appelleront bien vite vengeance… Il y a du cauchemar éveillé et du conte sanglant dans ce règlement de comptes où chacun joue sa partition de l’égoïsme et du ressentiment. Il y a aussi dans cette histoire d’adultes prédateurs et d’enfants sacrifiés les relents d’une antique filiation de monstres et les senteurs de notre société actuelle. Dans un monde où chacun se replie sur son petit lopin de certitudes, serions-nous condamnés à revivre sans cesse la même histoire ?
La très productive metteuse en scène, actrice et auteure Jeanne Dandoy adapte cette pièce comme un thriller psychologique. A l’instar du théâtre de Strindberg, fait de brusques éclairs et de profondeurs abyssales, les flash-backs, les sons, les jeux d’ombres et de lumières troublent la perception de ces secrets enfouis, de ces rancunes sourdes, de ces tourments intimes qui font surface et viennent hanter les acteurs comme dans un rêve. Il s’agit pour chacun de survivre à la perte de ses illusions et à la découverte de la vérité, de s’affranchir du passé et bâtir sur ses ruines pour continuer à vivre ensemble et recréer du lien. Est-ce possible ?
Le spectacle s’amuse de la question et des pièges qu’elle soustend. En 1907, Strindberg écrit une fin brutale et inattendue. Un siècle plus tard, n’est-il pas concevable de faire un autre pari ?