Mémoire de fille
Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux replonge dans l’été 1958, celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l’Orne. Nuit dont l’onde de choc s’est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années.
S’appuyant sur des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu’elle a été dans un va-et-vient implacable entre hier et aujourd’hui.
La théâtralité de cette écriture est une quête ténue, fine, très fragile, qui nécessite d’être préservée de tout artifice, de tout effet. Il s’agit plutôt de travailler sur la présence des actrices dans la durée et sur une archéologie du mouvement – passages, traversées de l’espace — de nature chorégraphique. Pour créer les conditions d’existence de cette théâtralité, beaucoup de soin et d’attention seront requis. Beaucoup de douceur. Voilà le paradoxe : la littérature d’Ernaux, si brutale, si violente, si dangereuse, demande qu’on l’aborde avec une infinie douceur.
L’adaptation distingue deux parties bien différentes : dans la première partie, composée de souvenirs, l’adaptation travaille l’existence du groupe autour de cette triple figure d’Annie D., la fille de 58 confrontée au corps social collectif par lequel elle se sent humiliée, rejetée, mise au ban. Ce groupe sera composé de trois jeunes acteurs, deux garçons et une fille qui vont incarner les figures de moniteurs de la colonie. Enfin, ce fil mystérieux qui va la conduire à s’engager dans l’écriture compose l’essentiel de la deuxième partie, construite de souvenirs mais aussi de rêves, donc d’un espace fantasmatique, verra apparaître des silhouettes d’écrivains cités dans le texte original, que l’adaptation lira comme des figures d’anges gardiens — Sartre, Simone de Beauvoir, Proust — qui guident Annie D. vers l’écriture.